Aujourd’hui, dimanche 1er juillet 2018, Poussinette entre au Panthéon. Poussinette, c’est le surnom dont Jacques Chirac avait affublé en privé la discrète épouse du très giscardien Antoine Veil, en ce milieu des années soixante-dix, au moment où les principaux chefs des états-majors de parti qui constituaient alors la majorité gouvernementale cherchaient désespérément une femme. Il leur fallait absolument une femme, cela ferait mieux sur la photo, pour faire passer à l’Assemblée nationale leur réforme visant la dépénalisation de l’avortement (par ailleurs déjà effective dans la réalité depuis quelques années sur injonction ministérielle) et qui sera adoptée avec une très large majorité. Poussinette était là, accompagnant son mari, comme souvent, légèrement à l’écart, accoudée à la cheminée, silencieuse, effacée. La soirée était très avancée, la réflexion toujours stérile, les regards masculins, alourdis de fatigue, se tournèrent alors pesamment vers la seule femme de la pièce, jusque-là parfaitement oubliée. En un instant, le sort de Simone Veil fut scellé. Faute de mieux, de meilleure idée, on lui refila le bébé… si je puis dire !

La présente poussée de glorification de Simone Veil, après son entrée au gouvernement, son élection à la présidence du Parlement européen puis à l’Académie française, les multiples hommages qu’elle a reçus de son vivant, sans regimber jamais ni crier à l’erreur sur la personne, puis ceux qui ont submergé les médias à l’occasion de son décès, forment l’apogée de ce qui restera, pour moi, l’une des plus remarquables tartufferies de l’époque, l’une des plus manifestes mystifications du premier quart (au moins) de ce siècle et du dernier quart du siècle dernier dans l’histoire de notre pays. C’est l’apothéose, au plein sens du terme. La sanctification d’État, ce genre de pantalonnade dont la République a le secret et qu’elle ne rechigne pas à organiser, à l’occasion, pour se rengorger en faisant la roue, devant les yeux tout enamourés de ses admirateurs.

Une époque a les héros qu’elle peut. Quand elle n’en a aucun, elle est capable de les fabriquer de toutes pièces, en fonction de ses besoins. Depuis son oubli, Giscard d’Estaing doit trouver la postérité bien ingrate. Mais le vieil homme récolte-t-il autre chose que ce qu’il a semé ?

Dans le marbre de la stèle funéraire de la Dame (aussi respectable, au demeurant, que n’importe quelle dame de France – là n’est pas la question), le burin du graveur pourra éterniser l’épitaphe suivante :

« À l’idéologie ambiante, Simone Veil reconnaissante ! »