Une véritable tempête. Sur les réseaux sociaux, les Français fulminent contre la décision avouée par le premier président de la Cour des comptes lui-même : Pierre Moscovici a décidé de décaler la publication d’un rapport au vitriol de la vénérable institution sur l’immigration clandestine (lire l’article de Clémence de Longraye) pour que ces éléments n’interfèrent pas dans les débats de la loi Immigration. Morceaux choisis des internautes : « C’est une faute lourde au sens où il y a intention politique de nuire en l’absence d’objectivité et de respect des délais de production et de divulgation. » « Honte à Pierre Moscovici. Dans un autre pays, il serait condamné pour dissimulation de documents sensibles et emprisonné pour cela ! » « Quelle pourriture, traître au pays ! », envoie un troisième internaute sur le réseau X. « C'est une atteinte à la démocratie », lance un quatrième. « Il doit démissionner. »

Le magistrat devra s’expliquer. Et vite. Car les Français s’exaspèrent des manipulations grossières et sans fin sur le sujet crucial de l’immigration, objet d’une intense campagne de communication positive depuis… quarante ans. Il n’est qu’à se souvenir des cris d’orfraie poussés par la gauche lorsque Sarkozy créa un ministère de l’Immigration en 2007. Toute discussion était non seulement impossible mais interdite, la gauche et l’extrême gauche veillant au grain.

La Cour des comptes a pour mission... d'informer les citoyens

« Je ne souhaitais pas que cette publication puisse interférer en quoi que ce soit avec le débat politique », a expliqué Moscovici. Et pourtant, il suffit de se rendre sur le site Web de la Cour pour y lire ceci : « La Cour des comptes a pour mission principale de s'assurer du bon emploi de l'argent public et d'en informer les citoyens. » Qu’a fait Moscovici sinon, justement, refuser d’en informer les citoyens – et les élus - précisément au moment où ils en avaient besoin.

Le rapport de la Cour des comptes aurait-il changé la teneur des débats ? À l’évidence, il aurait appuyé les démonstrations et l’approche du vote de la loi Immigration lui aurait donné un écho sans précédent. Quelle organisation redoute que son travail soit utile ? Du reste, en décembre 2021, Pierre Moscovici avait rempli cette fonction : la Cour des comptes qu’il présidait avait publié « des notes structurelles pour informer le citoyen à l’occasion du grand débat public qu’est la présidentielle ». Il y a donc débat et débat. Nécessité d’éclairer et nécessité de planquer les dossiers, selon les moments.

Moscovici ? Un fidèle du PS

Certes, cette institution née sous l’Ancien Régime a ses habitudes. Contacté par BV, un membre de la Cour des comptes, par ailleurs pas vraiment amène vis-à-vis du pouvoir, explique le réflexe maison : « C’est ultra-classique, dit-il. C’est une élégance que se donne la Cour. Elle se pose en grande dame au-dessus des querelles partisanes pour ne pas peser dans les débats lorsqu’un rapport coïncide avec un vote. Cela a été le cas dans les périodes électorales et pré-présidentielles. Philippe Séguin (l’un des prédécesseurs de Moscovici) l’avait fait lui aussi. » Notre membre de la Cour rappelle que ce rapport a nécessité plus d’un an de travail, qu’il ne cache en rien la gravité de la situation, au contraire, et que Moscovici reste plutôt libre. Il avait fait scandale à gauche avant Noël avec cette déclaration : « Le RN n'est plus exactement ce qu'il fut. Dire que Marine Le Pen est comme Jean-Marie Le Pen, c'est une diabolisation qui ne fonctionne plus. »

Il n’empêche. Pierre Moscovici vient de montrer qu’il reste ce qu’il est : un fidèle du PS, proche de Lionel Jospin à qui il doit son premier ministère, celui des Affaires européennes en 2002, avant de devenir le ministre de l’Économie de François Hollande. Un hiérarque que la France rémunère pour « s'assurer du bon emploi de l'argent public et en informer les citoyens » mais qui, en l’espèce, a préféré, momentanément, cacher la dure réalité aux Français. Il faudra écrire un jour l’épaisse histoire des mensonges du pouvoir sur l’immigration, intoxications massives, silences, omertas, omissions. Moscovici y aura sa (petite) place.